L’élimination des enquêtes préliminaires n’est pas la solution pour régler les retards des tribunaux

  • 27 mars 2017
  • Ian M. Carter

Le vieil adage à propos des marteaux et des clous est tout aussi applicable aux ciseaux : lorsque votre seul outil est une paire de ciseaux, il vous semblera que le seul moyen pour régler tous les problèmes est de couper dans le vif.

Toutefois, les « coupures », aussi justifiables puissent-elles sembler sur le coup, peuvent finir par créer à long terme plus de problèmes qu’elles n’étaient sensées en régler.

Dans deux provinces, les procureurs généraux suggèrent maintenant de mettre fin aux enquêtes préliminaires afin de régler le problème des retards accusés par le système de justice pénale. Alors que des affaires pénales se terminent par un sursis ou un rejet en raison de la durée excessive écoulée avant qu’elles ne parviennent devant les tribunaux par déférence à la décision rendue par la Cour suprême du Canada l’an dernier dans l’affaire Jordan, la nécessité de trouver une solution à ce problème a fait, et continue de faire, les manchettes.

Qu’il s’agisse des victimes ou des acteurs du système de justice ou de toute autre partie concernée, il leur est très difficile de voir une personne accusée de meurtre ou de viol recouvrer sa liberté car il a fallu trop de temps pour que son dossier parvienne devant le tribunal.

Et pourtant, l’élimination des enquêtes préliminaires ne réglera pas le problème. Ces enquêtes ne causent aucun retard, elles aident à les prévenir. L’idée qu’un procès ne fait que répéter les étapes déjà suivies lors de l’enquête préliminaire est tout simplement erronée.

Une enquête préliminaire permet à la défense et à la poursuite d’évaluer leurs dossiers mutuels et de décider si elles disposent de suffisamment d’éléments de preuve pour passer à l’étape du procès. La vaste majorité des dossiers pour lesquels une enquête préliminaire a lieu sont réglés à ce stade en l’absence de tout procès. Si c’est toutefois le cas, l’enquête préliminaire aide à centrer les arguments et à éliminer les erreurs, ce qui permet un déroulement plus rapide de l’instance.

Les résultats de recherches récentes publiés dans la Revue canadienne de criminologie et de justice pénale suggèrent que dans seulement 25 % des cas les parties à des affaires admissibles choisissent une enquête préliminaire. Qui plus est, au plus 2 % de toutes les comparutions ont lieu dans le cadre d’une enquête préliminaire.

Alors que l’envie d’éliminer les retards inutiles soufferts par les instances judiciaires est très compréhensible, l’erreur est de considérer les ciseaux, donc les coupures, comme le seul outil pour régler le problème. Toutes les parties prenantes disposent, en revanche, d’un certain nombre de moyens novateurs pour accélérer le cheminement des dossiers devant les tribunaux.

Les procureurs pourraient être encouragés à utiliser leurs pouvoirs discrétionnaires pour régler, aiguiller de nouveau ou retirer les affaires qui ne devraient pas monopoliser le temps des tribunaux. Le procès ne représente pas l’étape ultime de la plupart des affaires pénales. Par conséquent, si un procès n’est pas inutilement inscrit au rôle, le temps des juges n’est pas gaspillé. Les systèmes d’approbation des mises en accusation du ministère public aident à éliminer les dossiers peu solides dès les premières étapes.

Les procureurs et la police pourraient améliorer les pratiques de préparation en vue de la communication de la preuve afin que l’avocat ou l’avocate de la défense dispose de tout le nécessaire lors de la première comparution, dans un format uniformisé et lisible. La police pourrait être mise à contribution pour engager des avocats et du personnel chevronné pour examiner la communication de la preuve avant qu’elle ne parvienne aux procureurs.

Les juges pourraient veiller à un processus antérieur au procès qui soit plus solide et comporte des comparutions devant des juges responsables de la gestion de l’instance, appuyées par des mémoires ciblés concernant la structure et la nature prévue des procès et des audiences, une prompte communication des listes de témoins et des estimations détaillées du temps nécessaire pour les interrogatoires et les observations. Cela faciliterait un déroulement sans heurt du processus judiciaire et diminuerait les risques de retards à des étapes ultérieures.

Les avocats de la défense pourraient utiliser la technologie pour gérer plus efficacement les comparutions ordinaires d’ouverture de dossier. Un système en ligne pour les comparutions ordinaires pourrait permettre aux personnes accusées ou aux avocats de comparaître par voie électronique ou par téléphone, à moins que l’intervention d’un juge ne soit requise pour trancher un différend.

Les gouvernements pourraient aider en dotant sans retard les postes vacants au sein de la magistrature, en affectant des ressources appropriées au système de justice pénale et en veillant à ce qu’un financement suffisant soit imputé aux services d’aide juridique partout au Canada. L’élimination des peines minimales obligatoires, qui restreignent les pouvoirs discrétionnaires dont jouit le ministère public pour trancher, et l’expansion des programmes de déjudiciarisation pour éliminer du système les accusations mineures sont d’autres façons de réorganiser les priorités en mettant l’accent sur un règlement rapide dès les premières étapes.

Il n’existe tout simplement aucun élément prouvant que les enquêtes préliminaires causent des retards au sein du système, bien au contraire. Nous souhaitons que les gouvernements évaluent objectivement les véritables raisons qui sous-tendent les retards accusés par le système et puis choisissent les outils les mieux adaptés pour régler le problème, plutôt que de présumer que la panacée réside dans un bon coup de ciseaux.

Ian M. Carter est vice-président de la Section nationale de l’ABC du droit pénal et associé chez Bayne Sellar Boxall.

L'ABC a adressé une lettre à la ministre de la Justice en faisant valoir l'utilité de l'enquête préliminaire en matière criminelle

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