Ă€ la conquĂŞte du temps perdu

  • October 14, 2014
  • Nicolas Ritoux

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Courriels, SMS, appels sans fil, alertes Facebook… Les technologies nous ont plon - gĂ©s dans un merveilleux monde de communications instantanĂ©es, mais aussi d’interruptions constantes. Difficile de se concentrer sur un travail de qualitĂ© quand on doit aussi traiter toutes les demandes promptement. Comment rester en contrĂ´le des communications tout en gardant sa tĂŞte? « Les avocats facturent un taux horaire pour travailler sur des mandats qui requièrent la meilleure rĂ©flexion juridique possible. Il faut que notre tĂŞte soit entièrement lĂ . En mĂŞme temps, on doit rester prĂ©sent pour ac - cueil lir de nouvelles demandes. Si on ferme les communications, les clients pressĂ©s ne l’apprĂ©cieront pas. » constate Xavier Beauchamp-Tremblay, avocat en droit de la propriĂ©tĂ© intellectuelle et en droit de la publicitĂ© chez Norton Rose, Ă  MontrĂ©al.

« Quand j’Ă©tais stagiaire, j’avais beau coup de capacitĂ© de concentration, car personne ne cherchait Ă  me rejoindre. Puis mon courriel est devenu difficileĂ  gĂ©rer. Quand j’ai crĂ©Ă© ma boĂ®te Outlook, j’ai configurĂ© les avertissements de nouveaux courriels pour qu’ils Ă©mettent la fameuse sonnerie tĂ©lĂ©phonique de Jack Bauer de la sĂ©rie 24. Mais très vite, le volume de courriels a augmentĂ© et j’ai fini par sentir la mĂŞme pression que Jack Bauer lui-mĂŞme! »

Son secret pour rester zen dans l’avalanche de courriels: Ă©teindre les avertissements automatiques. « Aussi tĂ´t que j’ai cessĂ© d’ĂŞtre averti de tous les courriels qui entrent, je me suis surpris Ă  travailler dans mes documents pendant de plus longues pĂ©riodes. La diffĂ©rence a Ă©tĂ© frappante, surtout que je n’avais jamais rien connu d’autre », raconte l’avocat nĂ© dans la gĂ©nĂ©ra tion connectĂ©e.

Reste un dilemme: comment continuer Ă  satisfaire les clients pressĂ©s? « Je finis toujours par retourner Ă  ma boĂ®te de rĂ©ception, mais pas aussi souvent. Les gens qui sont nerveux de ne pas recevoir de rĂ©ponse en 15 minutes ont une idĂ©e trompeuse du rĂ´le des courriels. Ils pensent que c’est un bon moyen pour signifier une urgence, alors qu’il suffirait de prendre leur tĂ©lĂ©phone et de m’appeler! », observe Me Beauchamp-Tremblay.

La qualité prend du temps

Pour Thomas Prowse, il ne faut pas hĂ©siter Ă  enseigner la patience aux clients en leur imposant des dĂ©lais de rĂ©ponse. L’ex-associĂ© de Gowlings cite en exemple le restaurant The Works Ă  Ottawa, oĂą il vient d’ouvrir son cabinet spĂ©cialisĂ© en droit des technologies.

« Sur leur menu, on est prĂ©venu qu’il leur faut au moins 20 minutes pour servir un burger, parce qu’ils le prĂ©parent selon les règles de l’art. C’est un peu la mĂŞme chose pour des avocats: si vous donnez promptement de mauvais conseils, ça reste de mauvais conseils. La qualitĂ© prend du temps, et on ne devrait pas s’excuser auprès des clients quand on prend le temps de bien faire. RĂ©pondez-leur, mais seulement pour les prĂ©venir que vous leur rĂ©pondrez plus tard! »

Qu’il s’agisse de courriels, d’appels mobiles ou autres technologies de communications, ce sont des outils dont on doit prendre le contrĂ´le plutĂ´t que de les laisser nous contrĂ´ler, prĂ©vient Me Prowse, qui a connu les cabinets d’avocats avant l’arrivĂ©e d’Internet.

« Les technologies sont Ă  la fois une bĂ©nĂ©diction et une malĂ©diction. Elles nous permettent de faire des choses nouvelles, mais elles risquent aussi de nous Ă©craser et de nous bloquer l’accès Ă  des champs de la connaissance qui re quièrent une rĂ©flexion profonde. Elles nous tiennent occupĂ©s, mais pas forcĂ©ment de manière productive. Il est bon parfois de fermer la porte, de se dĂ©brancher et de s’enfoncer dans nos pensĂ©es. C’est ce que nos clients attendent de nous », conclut Me Prowse.

Savoir se débrancher

Les avantages du débranchement ont été expérimentés aux États-Unis par la société Intel, dans le cadre de son projetpilote Quiet Time. Pendant sept mois, 300 ingénieurs et gestionnaires se sont isolés une fois par semaine durant quatre heures, en cessant de vérifier leurs courriels et en redirigeant leurs appels vers une boîte vocale. Selon Intel, ces périodes de concentration ont aidé les employés à améliorer leur efficacité.

« Les gens deviennent dĂ©pendants de leur boĂ®te de courriel, et se sentent obligĂ©s d’aller la vĂ©rifier sans cesse. La première chose Ă  faire, c’est d’Ă©teindre les avertissements du logiciel et de laisser passer une heure entre chaque vĂ©rification. ĂŠtre joignable en tout temps n’est ni sain, ni productif », dit Monica Steeley, consultante britannique en gestion du temps et auteure du livre Brilliant Email.

« Quand quelqu’un entre dans mon bureau, il peut deviner immĂ©diatement s’il me dĂ©range. Le courriel ne voit pas cela, alors il faut le forcer Ă  prioriser les interruptions; des règles de filtrage peuvent ĂŞtre crĂ©Ă©es pour cela », poursuit Mme Steeley. « Mais il faut aussi remonter aux sources profondes du problème: pourquoi autorisez-vous des gens Ă  vous interrompre? Qu’est-ce que cela rĂ©vèle Ă  votre sujet? Au fond, il s’agit d’affirmer votre libertĂ© et de ne pas vous laisser dominer par la technologie. »

Boîte vidée, temps gagné

Les experts sont formels: mieux vaut regrouper ses tâches et travailler en continu que de butiner entre les interruptions. La consultation des courriels doit aussi alors se faire en bloc, selon un triage efficace. Selon RenĂ©-Louis Comtois, directeur de Formations Qualitemps et auteur de « GĂ©rez vos courriels, ne les laissez pas vous gĂ©rer » (Ă©d. QuĂ©bĂ©cor), le critère de rĂ©us site d’un professionnel qui gère bien son temps devrait ĂŞtre une boĂ®te de rĂ©ception qui reste vide après chaque journĂ©e de travail.

« C’est comme une boĂ®te aux lettres traditionnelle: on ne devrait rien y laisser traĂ®ner. On ne devrait pas voir deux fois le mĂŞme message. Chaque courriel doit provoquer un geste immĂ©diat ou ĂŞtre classĂ© pour traitement ultĂ©rieur. IdĂ©alement, 80% d’entre eux se lisent en moins de deux minutes, après quoi on les jette ou on les classe », conseille M. Comtois.

Selon ce formateur, un professionnel peut gagner deux Ă  trois heures par jour en instaurant un processus de triage efficace. Quelques règles de filtrage auto matique peuvent contribuer: par exemple, on peut diriger les messages adressĂ©s en copie carbone dans le dossier « CC », les infolettres dans le dossier « Lec tures », et les avertissements des mĂ©dias sociaux dans le dossier « RĂ©seaux ».

Outre la rĂ©ception, il faut aussi savoir envoyer. « ĂŠtes-vous de bons expĂ©diteurs? Efforcez-vous d’Ă©crire des sujets descriptifs et pertinents, de placer en c.c. les gens dont vous n’attendez pas de rĂ©action. »

La règle des deux minutes

Qu’il s’agisse de courriels ou d’autres formes d’interruptions, les professionnels efficaces devraient toujours suivre la « règle des deux minutes », telle que proposĂ©e par David Allen, le gourou amĂ©ricain de la gestion du temps.

« Si une demande vous prend moins de deux minutes Ă  traĂ®ter, alors vous devriez le faire immĂ©diatement », rĂ©sume David Allen, auteur de l’ouvrage Getting Things Done. « Si l’action prend plus de deux minutes, alors reportez-la Ă  plus tard, mais en la plaçant dans une mĂ©moire extĂ©rieure, c’est-Ă -dire dans un endroit que vous ĂŞtes sĂ»r d’aller consulter ultĂ©rieurement. Votre esprit sera alors libĂ©rĂ© pour mieux vous concentrer. Au fond, il n’y a pas d’interruptions; il n’y a que des entrĂ©es mal gĂ©rĂ©es. »